Éloge de Marc Chevalier

 

par Christian Camerlynck 


 

 

Éloge de Marc Chevalier

 

Marc Chevalier est mort le 18 juillet 2013. Il était né à Avignon en 1920. Il fut membre des Comédiens routiers, pendant la guerre, et pensionnaire d’Uriage, puis membre de la troupe de Jean-Pierre Grenier avec Olivier Hussenot, Yves Robert et les futurs Frères Jacques. Il fut aussi membre de la troupe de Jean Vilar.

Avec André Schlesser, il créa, en 1947, le duo Marc et André. En 1951, ils fondèrent, avec Léo Noël et Brigitte Sabouraud, le cabaret L'Écluse. En 1975, il fonda le CREAR, centre de formation aux métiers d’art et de la communication, qu'il dirigea jusqu’en 1994. Il a été président de l'Union internationale de la Marionnette, et président du Centre de la Chanson de 1989 à 1999.

Lors de ses obsèques, le 25 juillet, à Paris, Christian Camerlynck a prononcé le bel éloge que nous reproduisons ici.

Jacques Bertin

Il y a des pères qui nous mettent au monde et des pères que l'on se choisit. Marc Chevalier est l'un des pères que je me suis choisi. Il m'a ouvert à l'Art. Marc et Christiane, dès le début, m'ont accompagné dans mon parcours. Ensemble, ils ont donné un sens à ma vie. Ils m'ont fait comprendre que l'art et la poésie portent les espérances de l'Homme. L'émotion que me provoque sa mort est forte, je veux pourtant témoigner de l'importance de cet Homme dans ma vie et je le sais, dans la vie de beaucoup.

Dès l’annonce de la nouvelle de sa mort des dizaines de souvenirs surgissent à ma mémoire et sans doute dans celle de beaucoup qui l’ont connu.

J’avais utilisé dans les années 64/65 des valises pédagogiques pleines de 45 tours éditées par le Centre de Culture Ouvrière. J’étais alors militant JOC et je devais animer des soirées. Je ne savais pas, alors que c’est toi Marc Chevalier qui les avait conçues. Elles étaient sur des thèmes : le travail, l’amour, la guerre, la paix etc…

C’est en 1967 que je l’ai vu pour la première fois, je participais à une sélection pour entrer à L’INFACi. Il me posait des questions sur mes goûts artistiques, mes passions dans la vie… J’en avais peu. Le soir une candidate, France qui deviendra la mère de mes enfants m’invite à l’accompagner dans un cabaret, L’Écluse. Ce fut je dois le dire le grand choc de Ma vie. Je découvrais qu’Il existait une chanson différente que celle qu’on entendait sur les ondes à l’époque, une chanson poétique qui parlait de nous, de moi. J’y vois pour la première fois des artistes complètement inconnus dans mon village des Flandres où je vivais.  J’y entends pour la première fois de ma vie et en dehors de l’école, de la poésie…. C’est à l’Écluse avec France, que je fais mes humanités. L’INFAC et l’Écluse furent mes universités. Marc en était le directeur artistique et le penseur, concepteur essentiel de la pédagogie : 50% de formation artistique, littérature, expression orale, danse, pantomime, marionnette, chant, sculpture, photo etc. De la pratique toujours de la pratique. « Ose ! » disait-il. « Allez ! Trompe-toi, essaye ! ». Il s’agissait de faire et d’en parler après, de critiquer de façon constructive mais de faire d’abord. La pédagogie par l’action c’était là sa méthode.

Les portes de la curiosité et de la connaissance s’ouvrent à moi grâce à toi, Marc, à ta passion, ta patience, ta force de persuasion, tes talents de vulgarisateur. Combien de fois Christiane et toi m’avez-vous dit : « Assieds-toi et regarde, écoute, cherche le sens profond de ce que tente de nous transmettre l’artiste… »

1967/2013 : 47 ans de compagnonnage. Tu étais fiers de voir tes « élèves » réussir. Je pense à la carrière de Bernard Chenez, de Michèle Mallet par exemple. Le jour où l’on m’a remis les insignes des Arts et Lettres, que je n’avais pas demandés, avec ton regard mi moqueur, mi émerveillé, toujours pétillant, m’embrassant avec tendresse, tu m’as dit : « Quelle aventure, hein, Christian ! »

Comme animateur, je me suis inspiré, appuyé sur ton enseignement. Grâce à toi et aux formateurs que tu as choisi, pour la plupart des artistes praticiens, j’ai trouvé ce qui me permet d’être un Homme debout, libre, un Homme qui passe du Silence à un Humain qui ose s’exprimer, qui sait écouter, voir, se faire un jugement personnel sur les arts, sur la vie. Tu m’as fait découvrir que je peux entendre et apprécier la musique classique (cette suite de Bach qu’un soir à Verfeuil tu me fis entendre sous les étoiles d’une nuit du sud, je l’écoute quand j’ai besoin de courage), et la musique contemporaine aussi, que le théâtre est aussi pour moi, l’enfant né dans un village des Flandres de parents pauvres et sans aucun diplôme, lancé dans le monde du travail à 14 ans. J’ai toujours en mémoire cette analyse magistrale que tu fis du Satyricon de Fellini. Elle m’a donné des clefs pour ressentir plus que comprendre la peinture contemporaine. Sans cesse tu répétais que la forme d’une œuvre est aussi importante que le fond, que le message qu’elle transmet. Que l’art est universel et appartient à ceux qui l’utilisent. À ceux qui étaient des militants politiques, tu disais que leur discours ne valait pas grand-chose face à l’art, qu’une statue antique, un poème sont plus forts que tous les discours.

J’ai eu la très grande chance de travailler avec toi et pour toi à CREAR. CREAR, une idée de génie, une aventure collective dont tu étais l’âme et qui hélas n’a pas eu les moyens de son ambition. Nous étions dans les années 70 et La culture n’avait pas la place qu’elle eut dans les années 80. CREAR était trop en avance.

Je me souviens des expositions et colloques sur l’art, la tapisserie, l’art brut, l’architecture, les sculptures polychromes, des ateliers d’arts et d’artisanat de CREAR. Nous y avons rencontré des artistes contemporains, des architectes... C’est fou tout ce que j’ai pu accumuler comme expériences et informations pendant ces 4 années avec toi à CREAR.

J’aimerais pouvoir décrire tous ces moments de bonheur partagé, les bains dans La Cèze et nos discussions sur les films et pièces de théâtre vues à Avignon, les animations à la Maison Jean Vilar pour l’exposition sur l’Écluse, le président de la République François Mitterrand la visitant et commentant la carrière des artistes, évoquant leurs chansons, parfois même en fredonnant quelques-unes, parlant de Jean Vilar et de René Char avec toi à son bras... Raconter ta 2CV sillonnant la campagne de Verfeuil pour inviter les habitants au spectacle dans la cour du Mas, votre maison. Et moi l’un des chanteurs invités, je voyais, par la fenêtre, arriver les gens avec leurs chaises et des bancs, s’installer dans la cour, et sous les étoiles partager des moments de musique et de poésie

Il faudrait aussi que je décrive les longs échanges sur le travail, sur ton insatiable appétit de découvrir. Nous parlions de voyage, de culture, d’art mais aussi et surtout du désir de faire découvrir à ceux qui sont loin de tout ça le gout des arts

Tu me disais : « Quand je croise quelqu’un dans la rue, tu vois, ce cycliste par exemple, je me pose la question de savoir comment je peux lui être utile, moi le saltimbanque. Comment lui faire comprendre que l’art est indispensable comme l’eau, l’air et le feu ? »

Nous devrions poursuivre l’histoire, nous les chanceux, ceux qui ont vu leur vie bouleversée par ce compagnonnage avec toi. Il me semble que le monde en a bien besoin. C’est en pensant quotidiennement à toi que j’exerce maintenant mon métier de chanteur, de metteur en scène, de formateur, fidèle à l’esprit de l’éducation populaire par les arts vivants, ce qui fut ta ligne de conduite permanente.

Chère Evelyne, grâce à toi et à ta vigilance, à ton affection, Marc est resté vif et actif jusqu’au bout ; grâce à toi, il a pu, il y a peu de temps encore, partager ses découvertes des musées de New York, de Madrid, de Cuba, avec Alexandre, son fils. Merci de l’avoir accompagné si bien jusqu’à aujourd’hui.

Alexandre, permets que je dise que tu as la chance d’avoir eu le père que j’aurais aimé avoir. C’est pour cela que je dis que Marc aura été un des rares pères que je me suis choisi, à qui je veux rester fidèle, à qui j’aurais aimé dire : Marc je t’aime, merci pour tout ce que tu nous as donné et merci à la vie qui nous a permis de te connaître.

Gracias a la vida que me ha dado tanto !

Christian Camerlynck

i INFAC : Institut National de Formation de Collectivités



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