n° 154
juin 2011

 

 

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T'es con, Ouquoi ?

 


Il y avait un gars, son patron lui disait tout le temps : "T'es con, ou quoi ?". Alors ses copains avaient fini par le surnommer Ouquoi.

Il y avait un type, il disait tellement de bêtise que son beau-frère l'avait surnommé Ouquoi : - Il est con, Ouquoi ?

Il y avait Depardieu. On l'avait surnommé Ouquoi. Voici pourquoi.

Un matin, à l'heure du café au lait, ouvrant mon journal local (1), je tombe sur un entretien avec, le voilà, Gérard Depardieu. Notre star possède un château en Anjou et des vignes. Tant mieux pour lui. Cela fait qu'il a désormais une vision anthropologique des Angevins et c'est le sujet de cet entretien. J'y trempe mon regard, large et mansuète comme une tartine beurrée. Et j'y trouve ces mots :

"Ici on dirait qu'ils sont déjà vieux à 40 ans (…) Le tempérament angevin ne me dérange pas. Mais je les trouve un petit peu renfermés. Sans doute en raison du poids de la religion catholique. Ils vieillissent vite. (…) Il faudrait quand même qu'ils ouvrent les fenêtres de temps en temps."

Propos de bistrot, analyse portative de la race indigène locale, ce Lévi-Strauss, c'est Depardieu. Les gens du cru ne le satisfont que modérément et il leur explique ce qui ne va pas. On voit bien qu'il n'y a chez lui aucune haine raciste, ni aucune méchanceté, non non ; il serait prêt à les aimer s'ils savaient vieillir moins vite, se tourner vers l'avenir et l'avenirité et le dynamisme ouvert. Mais ils n'y parviennent pas. Là-dessus, il part vers de nouvelles aventures.

Donc, je disais : il y avait un type, il disait tellement de bêtise que son beau-frère l'avait surnommé Ouquoi : - T'es con Ouquoi ?

Il y avait Depardieu. On l'avait surnommé Ouquoi. Ce surnom lui resta.

Vote à l'Assemblée nationale sur un projet de loi créant le mariage des homosexuels. Ce qui me frappe, dans cette affaire, c'est qu'il n'y a, dans ma presse habituelle (celle de haut niveau), pas de débats. Tout se passe comme si tout était joué et qu'il suffisait qu'un ramassis de vieux ringards populistes cède enfin. L'histoire a déjà décidé et les médiatiques le savent ! C'est très choquant. Ca en dit long sur la presse française d'aujourd'hui.

Personnellement, j'ai le respect le plus absolu pour l'homosexualité. Ca n'empêche que je suis plutôt contre le mariage des homosexuels. Pour la raison que madame Le Pen a dite fort justement : sous quel prétexte ensuite interdira-t-on la polygamie ? Si l'on oublie le statut historique du mariage et qu'on l'autorise aux homosexuels, quel argument pourra-t-on employer pour l'interdire à plusieurs personnes consentantes ?

Tant que j'y suis, j'ajoute que je suis aussi, dans l'état actuel de ma réflexion, plutôt contre l'adoption par des couples homosexuels. Ici, ma raison est que l'on nous a bassiné depuis deux générations sur les conséquences de ce qui se passait dans la petite enfance (sa mère l'embrassait trop - ou pas assez etc.). Et voilà qu'on se propose soudain de faire comme si le père et la mère du même sexe, c'était un détail sans aucun effet possible sur le subconscient de l'enfant. En gros, on va créer une génération de cobayes - et aucun psy ne semble trouver qu'il y a problème - alors que moi, j'en ai eu un problème, constitutif de ma personnalité, et sérieux, à cause de ma petite enfance... Pas vous ?

Une précision, à cet endroit. D'une façon générale, je me classe dans la catégorie des progressistes votant à gauche. Sur les deux questions ci-dessus, je peux me tromper. Je puis aussi changer d'avis. Mais j'aimerais bien que les médiacrates français me laissent une chance de survivre sans me traiter encore un coup de ringard-salopard. Et, bien entendu, il ne s'agit là nullement des "idées de Le Pen", comme a pu l'écrire stupidement le journal Le Monde dans le passé, sous la plume multiple du fameux Ouquoi.

J'ai lu un entretien avec Jean Clair, homme honorable avec lequel je suis souvent d'accord. A propos des musées, il déplore "la transformation de l'art en industrie du divertissement". "Réduire la culture à une industrie culturelle, dit-il, nous y sommes (…) Preuve est donnée qu'on n'est plus dans une démocratisation de la culture mais dans une massification du culturel". (2)

C'est très bien, Jean Clair ! Félicitations. Mais ça a commencé dans les années soixante ! On appelait ça le show-business. J'ai naguère, dans ces pages (3), à propos de l'affolement de monsieur Schiffrin qui constatait l'installation du système du show-biz dans la littérature, écrit qu'il était un peu tard pour s'émouvoir. Les "variétés", désormais appelées "la musique", ont été le terrain d'expérimentation du système et jamais l'intelligentsia, les politiques, l'université, les milieux artistiques et culturels n'ont manifesté la moindre opposition. Aucune réaction, à aucune époque, jamais. Aujourd'hui, cher Jean Clair, je vous le dis comme à Schiffrin : va au diable !

Parlons du reste. De Coluche, qui revient dans l'actualité, ces temps-ci. Ah, il me faisait bien rire ! Puis, lorsqu'il se présenta à l'élection présidentielle, il fut lamentable, pitoyable, minable. Je me suis senti insulté, sali. Je regrette qu'aucun de ses proches n'ai eu le courage de lui dire : - Allons, fais pas ça, Ouquoi…

Parlons du reste. Il y a eu un problème au FMI. Le patron est accusé d'avoir crié : "Ce coup-ci, c'est la bonne !" Moi, je n'apporterai pas mon supplément à la montagne des commentaires. Mais, puisqu'on a partout vanté les mérites journalistiques de madame Sinclair, je m'autorise, en tant qu'ancien confrère, à dire qu'elle s'est disqualifiée à mes yeux à tout jamais lorsqu'elle déclara que Le Pen ne serait jamais invité dans son émission politique.

Parlons du reste. Jean-François Kahn, enfin, pris au piège du médiatisme (parler beaucoup, parler très vite, parler de tout, s'étourdir d'être dans le coup jusqu'au cou…) Un jour, ça casse, on dit une connerie de trop. Alors, il annonce qu'il "arrête le journalisme !" Mais c'est le médiatisme, qu'il faudrait arrêter ! Comment un homme qui a tellement compris ce qu'il y avait à comprendre n'a-t-il pas compris cette nuance - pourtant énorme ? T'es con, Ouquoi ?

Parlons du reste. Il y a eu récemment une attaque du mal contre l'humanité. On a prétendu partout que l'agent du diable était le concombre, alors que chacun sait bien, ainsi que le dit le vieux dicton, que les concombres font les bons amis !

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(1) Le Courrier de l'Ouest du 23 avril 2011
(2) Le Monde du 7 mai 2011
(3) Policultures n° 146, de septembre 2010


 

Jacques Bertin