n° 160
février 2012

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Tristesse française

 

...La mienne. Ma tristesse. Je voudrais vous parler de ma tristesse. Pas toute, non. Seulement un peu de sa part publique, culturelle, française. Et de ce qui l’entretient, hélas, dans l’actualité. Allons-y.

1) Il est notable que - si je me fie à mon journal - dans le récent rapport d’Olivier Donnat sur les pratiques culturelles des Français, la chanson n’existe pas. Elle ne fait pas partie de la culture. J’ai, depuis longtemps, été scandalisé par le fait qu’elle avait jadis été confiée au commerce, puis naguère noyée dans la « musique actuelle ». Ceci s’est passé dans la totale indifférence du monde culturel. Bah, la chanson n’est pas un sujet sérieux ; ni même culturel ; aucune importance...

2) Dans la campagne pour la présidentielle, d’habitude, la culture ne tient qu’une place minime. Néanmoins, on aimerait que, sur ce thème, les candidats ne se contentent pas de s’adresser aux cultureux (artistes et professionnels). Sur l’ordre public, est-ce qu’ils s’adressent aux gendarmes ? Certes, si un candidat faisait un discours sur la culture s’adressant directement au peuple, ce serait sans doute très mal vu du... monde culturel. Tristesse...

Il y a, tristesse, un problème : que disent les cultureux ? Des sous ! Des sous ! Ah, tristesse... Pour moi, il est clair que, dans la crise de société actuelle (le sens, tout ça...), ils ne disent rien. La culture c’est pour que je m’exprime, vive la création et basta ! Tristesse...

Des preuves de ce que j’avance ? En voici.

- Contre l’idée, commune désormais, que la culture doit servir à « l’image de notre ville », étant ainsi l’otage de l’économie, les cultureux ne disent rien. Trahison des clercs. Tristesse...

- Dans la défense de notre langue, les cultureux ne sont ni au premier rang ni même au dixième ; ils n’y sont pas. Il est vrai que nous sommes probablement le seul pays au monde où les classes parlantes tiennent l’identité nationale pour une obscénité. On parle aussi de favoriser l’éducation artistique ; mais pendant ce temps, en France même, la langue française recule ; or la langue est un art ! Comme on aimerait que les cultureux se mobilisent sur ce terrain ! Mais rien. Tristesse...

- Dans la critique du médiatisme (cette vase collante qui nous enveloppe et nous entraîne vers le fond, et où se mélangent l’injonction, la manipulation, la vulgarité), les cultureux sont globalement absents. Tristesse...

- Enfin, il y a le terrain social. A quoi sert la culture ? Entre autres, à parler de la société. La nôtre est de plus en plus inégalitaire, on y méprise ouvertement le peuple ; c’est même du dernier chic. Là encore les cultureux sont absents.


Quelques notes éparses, maintenant. Parce que je ne puis m’en empêcher (je suis Vendéen, par ma mère), voici une note à propos des lois mémorielles. Le saviez-vous : il est certain que les Vendéens ont été massacrés en 1794 par l’armée de la République. Cent à deux cent mille morts, hommes, femmes, enfants, en punition de leur révolte, une vengeance atroce après leur défaite (donc, après la mort des combattants), toute une région détruite, églises, maisons, villages, cultures, sur 40 km de côté. Certains qualifient cette abomination de génocide. Comme Vendéen, je me fous pas mal de la qualification ; ce qui me choque c’est que les milieux dominants ont toujours nié ce fait, pourtant avéré. Je trouverais bien que la République reconnaisse qu’elle a été criminelle. Et idiot que ça passe par une loi. Il faudrait plutôt que le monde intello-médiatique admette simplement la vérité : qu’on cesse de me regarder comme un demeuré, quand j’en parle, à Paris. Mais voilà, on n’est que du peuple français, nous autres ; autant dire pas grand chose...

Allez, un petit jeu, pour passer le temps. Un exercice pour étudiants d’écoles de journalisme. A partir des mots suivants : frilosité, repli sur soi, crispation identitaire, populisme, hexagonal, souche, nostalgie, franco-français, écrivez un article-type qui puisse avoir une chance de paraître dans la presse parisienne d’aujourd’hui. Et pour la semaine prochaine : vous opposerez au précédent un second article, composé avec les mots suivants : rebelle, dynamisme, économie, diversité, people, décalé, déjanté, questionnement, complexe, décontracté, bien coiffé...

Sans rire, maintenant. Avez-vous remarqué que dans les médias parisiens, le vote des étrangers est désormais présenté comme une avancée inéluctable que seuls quelques vieux trognons populistes à baguette et béret retardent encore. Pour mon honneur, et parce que je crois en la citoyenneté, la démocratie, la république, les lois, je souhaite dire que je suis contre le droit de vote des étrangers, qui serait une mesure parfaitement réactionnaire. Comme le mariage des homosexuels, oui (voir Policultures n°154, de juin 2011).

Je sais que ce dernier paragraphe peut suffire à me faire classer parmi les néo-nazis. Tandis que les précédents ne faisaient de moi qu’un pétainiste. Eh bien, tant pis. Ah tristesse !

Je finirai d’aggraver mon cas en revenant sur les polémiques de ces derniers jours pour deux phrases, pourtant bien banales, d’Eva Joly (« Je n’ai pas une goutte de sang français dans mes veines ; mais la France coule dans mes veines ! ») et de Claude Guéant, (« Contrairement à ce que dit l'idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. (...) Celles qui défendent l'humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. (...) Celles qui défendent la liberté, l'égalité et la fraternité, nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique ».) Des évidences. Les réactions horrifiées des agents à sifflet de « la gauche » qui se précipitent dans le piège, indiquent à quel degré de stupidité ils peuvent descendre. Il nous faut donc nous résoudre à nommer la connerie, la simple et sombre connerie. Et le connerisme : obligé de répondre à l’ennemi, on lance des conneries, qu’est-ce qu’on y peut, il faut bien que la route du fer soit barrée ! Le connerisme a de l’avenir.

Eh bien, tristesse, la lutte des milieux artistiques et culturels contre la bêtise audiovisuelle et chaubistique et contre le caporalisme « politiquement correct » a depuis vingt ans été nulle. Il y a de plus en plus un problème dans ce pays, c’est l’alliance de fait entre le médiatisme (le pouvoir de la parole), la bourgeoisie et... le monde culturel. Il faut maintenant se lever et dire : ça suffit ! 


Jacques Bertin