n° 161
mars 2012

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Une pluie de récompenses

 

Le massacre de la Vendée. Mes lecteurs les plus fidèles se souviennent que le mois dernier (Policultures n° 160), j’ai parlé de ce tabou français. Voilà que la télévision publique me dément en diffusant une émission très bien (L’ombre d’un doute, FR3, 7 mars), la première sur ce sujet depuis qu’a été inventée la nuit des temps. J’en suis confus. Ou bien j’aurais un talent de devin ?

Reparlons des civilisations et de la phrase de Claude Guéant, ministre de l’Intérieur (“ Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. ”) Toutes les civilisations ne se valent pas, évidemment. Si elles se valent, à quoi bon se battre pour améliorer la nôtre ? Et si elles se valent, à quoi bon le débat ? Tous à la pêche !

Tiens, relevons cet éditorial (8 mars 2012), à la une du grand-quotidien-du-soir-que-je-révérais-naguère-mais-que-je-ne-lis-plus-que-du-bout-des-dents. Le papier - sur l’élection présidentielle - est intitulé : “ L’immigration, ou le vrai débat escamoté ”. J’y relève cette phrase qui me laisse pantois : “ Les Français sont en droit d’attendre des candidats qu’ils leur exposent leur conception d’une politique d’immigration juste, efficace et acceptable pour la société. C’est un débat difficile, mais qu’on aurait tort d’esquiver. ”

Mais qui donc a eu tort d’esquiver, qui donc a escamoté ce débat depuis vingt ans, si ce n’est ce même journal ? Ah, je me souviens des pages entières, quotidiennement, sur les sans-papiers (la campagne “ des papiers pour tous les sans-papiers !”), tandis qu’on attendait vainement qu’on nous informe sur les problèmes réels (économique, social, de santé publique, d’éducation, avec chiffres (vrais) à l’appui etc.) posés par l’immigration. Non, c’était être proche de l’extrême-droite que de dire qu’il pouvait y avoir un problème ! La responsabilité de ce journal est écrasante ! J’ose dire que le refus des médias centraux d’aborder clairement ces questions a fait le lit du lepénisme dans cette période. Donc, allons-y sans ménagement : dans la mesure où il ne contient pas de mea culpa, votre éditorial ne vous honore pas, les gars...

Parlons maintenant des récentes “ Victoires de la musique ”, et des César et des Oscar. Avez-vous vu dans vos médias une seule critique de tout ce cirque ? Un seul mot pour douter ? Non, n’est-ce pas. Ce vacarme délirant, des semaines durant, affirme l’homogénéité de la société culturelle : aucune opposition. Et bien sûr le triomphe du sho-biz qui désormais est la culture, puisque sa légitimité n’est nulle part discutée.

Le sho-biz, avec son alter-ego, le médiatisme, façonne la culture, il dicte les règles, les critères, les formes, les limites acceptables de la révolte, les idéaux et les valeurs, les innovations souhaitables, les archaïsmes. La crise de la culture est là : la seule institution culturelle incontestée, c’est le sho-biz et la seule révolte impensable, c’est contre le sho-biz. Je décerne un Connard d’honneur collectif à l’absence d’esprit critique dans ce pays.

Il est vrai qu’un artiste, ça doit marcher droit ! Rappel des règles de base : un bon artiste est impertinent, irréductible, irréconcilié, irrévérencieux, en rupture, en révolte, tout ce que vous voudrez ; mais 1) il ne fait pas de politique et 2) il ne saurait marquer la moindre distance par rapport au milieu artistique dominant. La première mimique exprimant un doute : t’es mort.

Et la provocation, toujours bien venue à part ça, ne doit jamais, attention, viser le pouvoir médiatique ! Beaucoup trop risqué. On conseille, en cas de passage télé, de porter des lunettes noires et un chapeau ; et d’avoir une tenue débraillée.

Vous allez dire que tous les artistes ne sont pas dans le sho-biz. C’est vrai. Il y a aussi l’Institution culturelle. Mais la règle est exactement la même : toute distance vis-à-vis de ses lois non-dites fait de vous un homme mort. Et d’ailleurs, à beaucoup d’égards, dans la période historique actuelle, ces deux mondes vont en France la main dans la main.

Et c’est donc à tous les cultureux, l’intelligentsia, les journalistes, les porteurs de parole publique que, dans ce calme plat sidérant, je décerne un Connard d’honneur.

Tant que j’y suis, je voudrais maintenant dire tout mon mépris à ce “ comique ” - un certain Gérald Dahan - qui a, dit-on, “ piégé ” Nicolas Dupont-Aignan, candidat à l’élection présidentielle, en se faisant passer au téléphone pour le footballeur Eric Cantona. Je ne vais pas vous faire un dessin ; le mot mépris suffit. (On sait que dans la France d’aujourd’hui, les journalistes et en général les citoyens ne peuvent pas tout se permettre, contrairement aux caricaturistes et aux “ comiques ” ; c’est pourquoi je précise que ce paragraphe-ci a été écrit par un humoriste - il est donc inattaquable.)

Allons, détends-toi... Tiens, parlons musique. Quelqu’un pourrait-il dire de ma part et avec les plus grandes marques de respect au responsable de cette émission de musique classique sur France-Inter, l’après-midi, que sa sélection est la plupart du temps inécoutable ? Tout joué deux fois plus vite qu’il y a cinquante ans ! Ca s’arrêtera où, la vitesse ? Oui, je sais bien : dynamique coco, plus vite chéri, faut être actuel... Je sais aussi que, dans ce monde libéral, les musiciens doivent montrer leur virtuosité s’ils veulent exister... Mais la musique à la vitesse de la scie sauteuse ? Tous les jours la symphonie de Stakhanov ? La musique, eh, c’est pas de la démonstration au Salon des arts ménagers ! C’est du plaisir physique, des sons qui durent, qui vont dans l’air, qui vivent et décroissent, c’est du silence, c’est du ralentissement et de l’accélération, bref : du temps, de la vie...

Terminons sur une drôlerie dans le goût de l’époque. Dans une ville de ma région, la municipalité demande aux gens de “ trouver un nom pour la future maison des services publics ”. Ben, pourquoi pas Maison des services publics, dites-moi ? Ca ne dit pas assez ce que c’est ? Si ! Justement ! Ce n’est pas assez ludique ! Ah, voici ici surgir le spectre hideux du pouet-pouetisme contemporain. On va choisir un nom festif et décalé ! La Au poil maison ? Non, ça, ça sonnerait trop franchouillard ; on préférera à la fin, je parie, Public home, qui fait plus tourné vers euh l’avenir. J’ai vu de grandes affiches, récemment, qui vantaient pour les Angevins la Loire-Valley. C’est malin, hein ?

Connard d’honneur. Avec palme, pour mieux nager dans le rien.


Jacques Bertin