(Centre national du patrimoine chanté)

Août 2000
Décembre 2000
Janvier 2001

Préambule

Projet

1- Description du projet

2- Méthode

3- Le rapport avec les autres

4- L'édition discographique

5- L'orchestre du répertoire

6- Le conseil artistique

7- Les Cahiers

8- Le corpus

9- Diffusion

Annexe


 

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Projet pour le répertoire
(Centre national du patrimoine chanté)

 

Préambule

Le peuple français a massivement oublié le patrimoine de la chanson française. Pourtant la tradition française en matière de chanson est formidablement riche, et ceci jusqu'à l'époque contemporaine.

Nous poserons ici deux questions préalables :

Premièrement : Qu'entend-on par patrimoine ?
Deuxièmement : Pourquoi et comment le transformer en répertoire ?

Qu'entend-on par patrimoine ? Le patrimoine, ce n'est ni la liste des succès, ni encore moins celle des "tubes" (ou hits). Ces deux listes peuvent aussi entrer dans la liste du patrimoine ; mais elles sont trop fonction des rapports de force dans la profession, des investissements publicitaires, des modes passagères, des intérêts financiers. Ces critères existent dans tous les autres arts mais il n'y a que dans la chanson qu'ils ont pu acquérir une valeur absolue. Si on les suit, la plus grande partie de l'histoire de la chanson tombe dans l'oubli - y compris les succès des époques passées, dès lors que l'époque présente n'en a plus de besoin commercial.

Nous intégrons le folklore dans le patrimoine. Il est une partie - il n'est qu'une partie - du patrimoine. Nous lui poserons les mêmes questions de qualité que nous poserons au patrimoine. Mais nous ne voulons pas créer un outil au service du folklore. Toutefois, nous voyons bien que le show business est aussi le destructeur du folklore.

Nous intégrons également les chansons de rues à notre menu. Et aussi le répertoire des chorales, chœurs et groupes. (Il faut distinguer deux sortes de chorales : chorales de haut niveau et chorales de masse ; les répertoires ne sont pas toujours les mêmes. Et lorsque nous ferons travailler des groupes, nous saurons qu'il ne suffit pas d'adapter des chansons connues pour constituer un répertoire pour chorales. Une réflexion doit être menée sur le texte, les thèmes, les mélodies, etc.)

On appellera ici patrimoine l'ensemble des œuvres qui, pour des raisons historiques ou artistiques, ont franchi ou méritent de franchir le temps.

Nous estimons qu'il est de notre devoir

1) de les faire connaître aux publics actuels et futurs
2) de les faire travailler par les artistes d'aujourd'hui et de demain
3) de les faire entrer dans le matériau historique à étudier par les historiens, les sémiologues, les sociologues, etc.

Par principe (par prudence) nous nous intéresserons au patrimoine dès lors qu'il aura franchi la limite de 30 ans d'âge.


Quelles chansons ? Choisir ces chansons pourquoi ? Pas parce qu'elles ont fait des tubes ou même des succès, mais parce que nous les aimons, c'est-à-dire qu'en dehors de leur notoriété, des modes ou de leurs résultats financiers, nous sommes capables de démontrer leur valeur.

Ajoutons que la vocation d'un organisme consacré au patrimoine tel que nous l'imaginons ici sera justement, avant tout, de mener une réflexion constante sur la question du patrimoine et des critères qui le fondent.

Pourquoi transformer le patrimoine en répertoire ?

- pour le bonheur du public
- pour la formation des artistes
- pour la formation du public
- pour honorer le passé
- pour la réflexion sur le passé


Il est temps de s'occuper sérieusement de cette question. C'est tout un pan de notre réalité qui est en train de glisser dans l'oubli. La méconnaissance par les jeunes de ce passé artistique donne plus de force à l'entreprise d'abrutissement par le show business et baisse le niveau général de la création. D'autre part, il confine au grotesque de voir célébrer en France toutes les cultures du monde sans que nous soyons à même de pouvoir célébrer notre patrimoine.

Qu'entend-on habituellement par répertoire ? Quelques chansons d'Edith Piaf et de Charles Trenet, quelques chansons de Gainsbourg et de Boris Vian, plus trois chansons de Brel et quelques extraits de Brassens et de Ferré. Cela, c'est ce qu'en donnent, et parcimonieusement encore, les radios, publiques ou non, et les scènes subventionnées, encore plus rarement. Ce n'est pas ce que nous nommons répertoire. Pour nous, le patrimoine français de chanson de qualité est riche de milliers de chefs d'œuvre. Mais qui y a accès ? quelle radio le diffuse ? quelle télévision ? quelle salle ?

Aucun service public centralisé ne travaille non plus à la recherche scientifique, ni à l'archivage, ni enfin à l'apprentissage.


Le show business n'aime pas le patrimoine. Pourquoi ? Principalement parce qu'il veut la rotation rapide des stocks et donc la consommation massive. Tandis que le patrimoine est une machine à créer des critères de jugement. Et en ce sens, il œuvre pour l'éducation du goût, donc, entravant les modes, empêchant la rotation rapide des productions, il dessert les intérêts des industries culturelles.

On devrait pouvoir compter sur l'Etat pour faire vivre ce répertoire - ce patrimoine - sans se soucier des industries culturelles. Mais ce souhait semble un rêve impossible. A toutes les époques contemporaines, l'Etat a respecté les intérêts du show biz. Il est bouffon de voir, dans les autres secteurs artistiques, l'Etat se préoccuper de l'intérêt du public et l'oublier dans celui-ci qui est pourtant parmi les plus importants, du point de vue statistique et dans la constitution de l'âme du peuple.

Mais l'Etat s'est toujours méfié de la capacité mobilisatrice des arts populaires. C'est peut-être pourquoi il préfère les voir ainsi encadrés par le commerce.

Il est indiscutable que les initiatives prises ici et là depuis plus de 20 ans, quand elles furent aidées plus ou moins par les pouvoirs publics sont restées embryonnaires, sans profondeur et sans éclat, malgré la qualité parfois de leurs responsables. L'état des lieux témoigne surtout de l'hésitation des "tutelles".

Certes, il existe aujourd'hui (et depuis très peu de temps) quelques "résidences-chanson" (une vingtaine). Et quelques petits théâtres faiblement subventionnés. Le Hall de la chanson ressemble, par ses ambitions et ses dimensions, davantage à une compagnie ou un centre dramatique qu'à un conservatoire comme celui que nous entendons créer. Enfin, bien sûr, on ne peut passer sous silence la loi de 1985 sur les droits des interprètes, ou la défense de la Sacem et de l'Adami par le Ministère de la Culture. Mais ce n'est là que bien peu par rapport à ce qu'il faudrait faire, et à ce qui se fait dans les autres disciplines artistiques. D'autre part, la volonté d'introduire de la "pluridisciplinarité" dans les Scènes Nationales par Madame Catherine Trautmann lorsqu'elle était ministre de la Culture a été accueillie fraîchement par les directeurs d'établissements et peu suivie d'effet.

Tout cela a généré depuis vingt ans le désespoir chez tous les gens sérieux (public et professionnels) s'intéressant à ce secteur.

Il existe des centaines d'équipements théâtraux, musicaux ou d'arts plastiques. Pour la chanson, rien... Sur cent-cinquante scènes dites de "musiques actuelles", combien ont pour point de départ la chanson ? On peut citer une entreprise à Ivry, une à Macon... Le bilan est que la chanson française, art le plus populaire (et qui rassemble toutes les catégories sociales), art dans lequel la France a montré au monde sa grandeur, est inexistante, humiliée.

L'Etat agit comme s'il estimait que dans ce domaine -et ce n'est le cas pour aucune autre discipline artistique- les intérêts privés suffisaient à faire l'affaire. Or c'est justement celui où les intérêts privés sont un bulldozer ravageur. C'est pour cela qu'il faut un système public.

Paradoxalement, un tel désert nous incite à faire preuve de la plus grande exigence.

Premièrement, nous refusons et refuserons tout lien organique avec le show business, le secteur industriel, et les organismes professionnels qui, de près ou de loin, leur sont liés. La Sacem, par exemple. Il s'agit que nos exigences intellectuelles ne soient en rien compromises ou entravées. Un impératif est absolu : appliquer à ce secteur la même règle de rupture totale avec les intérêts privés qui prévalut lors de la fondation de la décentralisation théâtrale, par exemple. Il n'y a pas, dans l'administration des CDN de représentants du théâtre privé ni de la SACD, ni dans celle des musées de représentants des revues d'art ou des syndicats de galeristes.

Cela signifie que ne pourra en aucun cas siéger dans les structures ou les lieux de réunions que nous créerons aucun représentant d'aucune organisation professionnelle du commerce, aussi légitime qu'elle soit par ailleurs. Dans l'administration de notre projet, aucun membre de droit ne pourra représenter aucun organisme professionnel, ni aucune association, ni aucun mécène privé, à l'exception unique des représentants de l'Etat et éventuellement des autres bailleurs de fonds publics. Sur ce point, nous devrons être intraitables.

Bien sûr, cela n'empêchera pas que, sur certains points, pour certaines actions, nous collaborions avec tel producteur, tel éditeur, ou des institutions comme la Sacem ou l'Adami, par exemple.

Deuxièmement, nous nous intéressons à des chefs d'œuvre, non à des succès, encore moins à des tubes. Notre rigueur là encore doit être terrible (dans les limites indiquées plus haut, de la pertinence sociologique ou historique des succès, lesquels ne devront, de toutes façons, n'occuper qu'une place seconde dans nos préoccupations).

Troisièmement, la masse de travail scientifique envisagé est telle que la plus grande exigence là encore est requise : en matière de chanson la recherche universitaire est à peu près au niveau zéro. Il faut dire qu'aucun outil n'existe (qu'il soit muséographique ou bibliographique, par exemple). Personne ne peut dire combien d'interprétations existent d'un chef d'oeuvre comme la Chanson de Tessa, ni où on peut en trouver les enregistrements. L'auteur la plus chantée dans l'histoire de la chanson française, après Béranger, est probablement Francine Cockempot ; qui est à même de dire un mot sur elle ?